Au nord il y avait les corrom pus Éric Darques L'ArchipelD’ordinaire, lorsque l’on parle de corruption en France, c’est plutôt le Sud du pays qui vient à l’esprit : Bouches-du-RhôneGardVarCorse, les exemples ne manquent pas pour accréditer l’idée (reçue) selon laquelle le Septentrion serait plus vertueux que le Midi.

Heureusement, Éric Darques, originaire de la région lilloise, vient démentir ce lieu commun avec un livre qui démontre que la corruption ne s’arrête pas au-delà de la Loire.

Au Nord il y avait les corrom…pus, paru en début d’année aux éditions de l’Archipel, est un récit chronologique des principales affaires qu’il a contribué à révéler et à faire juger, toutes dans son département.

L’ouvrage se présente autant comme une marche à suivre qu’un témoignage, l’auteur donnant dans le détail tous les obstacles qu’il a dû surmonter pour parvenir à obtenir justice.

Au Nord… est donc une incomparable boîte à idées pour tous les militants de la transparence publique, qui peuvent parfois céder au découragement quand ils voient le nombre d’embûches qui se trouvent sur leur chemin.

Frilosité de la presse, lenteur de la justice, esprit de corps des élus (de droite comme de gauche), complaisance de l’administration, rien n’est épargné à ce justicier qui prend parfois des allures de Jeanne d’Arc (les journalistes nordistes n’ont pas manqué de noter l’homophonie entre son nom et le surnom de la Pucelle d’Orléans) quand on découvre quelles épreuves il a dû traverser pour devenir une référence en matière de lutte anticorruption.

Éric Darques

Éric Darques

Selon l’aphorisme de Lao-Tseu, « un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ». Pour Éric Darques, ce premier pas fut en 2000 le dépôt d’une double plainte contre Pierre Mauroy, maire et président de la Communauté urbaine de Lille, et Lyne Cohen-Solal, pour l’emploi fictif dont cette dernière bénéficiait à la Communauté urbaine. Tous deux seront condamnés au terme d’un marathon judiciaire dont le lecteur découvre l’incroyable déroulement dans le premier chapitre (pp. 27-70).

Longtemps accusé par la gauche du Nord de ne cibler que des élus de cette tendance (ce qui, dans cette place forte du Parti socialiste, aurait plus relevé de l’état de fait que du parti-pris), Éric Darques va faire taire ces critiques dès son deuxième dossier (relaté dans le deuxième chapitre, pp. 71-93), où il est aux prises avec le maire — de droite — de Lambersart, ville de la banlieue lilloise dont il est conseiller municipal entre 2001 et 2008. L’édile, Marc-Philippe Daubresse, y règne en maître depuis 1988 et son administration a tendance, comme Darques s’en aperçoit rapidement, à rendre des comptes pour le moins fantaisistes, avec des excédents budgétaires qui se volatilisent mystérieusement d’un exercice budgétaire sur l’autre. Si l’issue de ce dossier est moins heureuse que celle du précédent, elle montre un militant aguerri, dont l’opiniâtreté sort renforcée des multiples étapes d’un combat à rebondissements.

En 2008, Darques mène deux combats de front : cette même année, il révèle que la Société des Eaux du Nord (SEN) a touché 164 millions d’euros pour des travaux qui n’ont jamais été réalisés (chapitre 4, pp.113-123).

Puis il dévoile le scandale du « Grand Stade de Lille » (inauguré en 2012 sous le nom de « Stade Pierre-Mauroy », une référence ironique, l’ancien édile n’ayant jamais caché sa relative indifférence aux résultats du LOSC), pour lequel le prestataire le plus cher (108,5 millions d’euros de différence), Eiffage, est finalement préféré à Norpac (filiale de Bouygues), contre les avis des experts dont le rapport donnait clairement la préférence au second projet. Comme Éric Darques le démontre, les élus favorables au projet d’Eiffage ont fait réécrire ledit rapport afin d’en inverser les conclusions. On note à la lecture du cinquième chapitre, consacré à cette affaire (pp. 125-156), que la complicité des élus pour imposer le projet d’Eiffage a largement dépassé l’éculé clivage gauche-droite.

Le sixième chapitre, « L’Enfer du Nord » (pp. 157-186), raconte d’autres procédures dans lesquelles Éric Darques s’est engagé, avec des issues plus ou moins heureuses selon les cas, mais dont la nature n’est pas moins condamnable que celle des précédents dossiers.

Dans le septième et dernier chapitre (pp. 187-195), Darques fait la synthèse des pressions qu’il a subies et des obstacles qu’il a surmontés tout au long de son parcours. Là où la plupart des citoyens auraient jeté l’éponge, ce consultant de profession s’obstine, sur son temps libre et à ses frais personnels. Son exemple fait rêver d’une France où chacun des 101 départements compterait au moins un militant anticorruption aussi persévérant.

Darques mentionne d’ailleurs à deux reprises (pp. 57 et 193) l’asymétrie déjà évoquée ici et  entre des citoyens-contribuables qui doivent s’acquitter de frais de justice importants tandis que les élus bénéficient, eux, de la couverture offerte par leur(s) collectivité(s) territoriale(s) alimentée par les impôts, une véritable « double peine des contribuables » :

Double peine des contribuables p 57Double peine des contribuables p 193

Il rappelle aussi, pp. 199 et 200, que la corruption concerne nécessairement de l’argent public ; si les journalistes s’abstiennent la plupart du temps de le mentionner, ce sont bien les contribuables qui doivent au final payer les pots cassés des magouilles, emplois fictifs et petits arrangements auxquels ce livre est consacré :

Corruption & argent public 1Corruption & argent public 2

Le petit « bonus » de l’ouvrage est sans doute le troisième chapitre (pp. 95-111) consacré à Anticor, qu’Éric Darques a cofondée en 2002 avant d’en claquer la porte en raison de l’orientation politique très marquée à gauche de cette association. Élu gaulliste et souverainiste, Darques donne le sentiment au lecteur d’avoir été la « caution de droite » à une organisation bien moins indépendante qu’elle le prétend, comme nous le notions lors du lancement de l’Observatoire de la Corruption. Il a fini par créer en 2015 le Front républicain d’intervention contre la corruption (Fricc), qu’il a quitté depuis.

On y apprend au passage qu’en 2002, Anticor soutenait la proposition de loi du député Michel Hunault visant à rendre inéligible à vie tout élu condamné pour corruption, un texte resté lettre morte jusqu’à un nouveau texte similaire, celui des députés Dino Cinieri (Loire) et Pierre Morel-À-L’Huissier (Lozère) en 2014, pour l’heure bloqué à l’Assemblée nationale car émanant de l’opposition.

Si un seul enseignement devait être retenu de ce livre, c’est que seule la pression des citoyens-contribuables pourra faire évoluer des pratiques qui, sans contrôle civique, seraient tout simplement monnaie courante. Une leçon de courage, mais aussi d’humilité face à l’ampleur de la tâche.

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Éric Darques, Au Nord il y avait les corrom…pus, l’Archipel, 228 p. (plus d’informations sur le site de l’éditeur)

Observatoire Corruption

Contribuables Associés contre la corruption et pour la transparence de la vie publique.