Battu en décembre 2015 dans la course à la présidence de la région Normandie réunifiée, Nicolas Mayer-Rossignol, jusqu’alors président de la Haute-Normandie (et ce depuis octobre 2013), est rapidement retombé sur ses pattes en devenant en mars 2016 directeur du Pôle Développement de la société normande Nutriset. Problème : en décembre 2013, la commission permanente du Conseil régional avait attribué une subvention de 200.000 euros à Nutriset…
L’affaire a près d’un an, mais jusqu’à présent, aucun média, régional ou national, n’en a parlé. Et pourtant, les faits sont tous exposés en place publique. Comme dans la nouvelle d’Edgar A. Poe La Lettre volée, c’est ce que l’on a sous les yeux qui nous est celé.
Le 11 mars 2016, trois mois après les élections régionales qui ont vu la victoire à l’arraché de Hervé Morin dans la Normandie réunifiée, Nicolas Mayer-Rossignol (photo), président de la Haute-Normandie du 14 octobre 2013 au 16 décembre 2015, annonce sur son blog qu’il rejoint la société normande Nutriset en qualité de directeur du Pôle Développement, un recrutement confirmé le même jour par Nutriset dans un communiqué de presse.
Le panégyrique de Mayer-Rossignol vis-à-vis de son nouvel employeur est beau comme un sac de riz de Bernard Kouchner :
Basée à Malaunay en Seine-Maritime, Nutriset est une entreprise familiale indépendante, de taille intermédiaire (elle compte 200 employés environ). Depuis 30 ans l’entreprise développe, fabrique et distribue des solutions nutritionnelles pour le traitement et la prévention des différentes formes de malnutrition dans les pays du Sud. Numéro un mondial dans son domaine, l’entreprise est notamment à l’origine du premier aliment thérapeutique prêt à l’emploi pour lutter contre la malnutrition aigüe sévère. L’année dernière, 6 millions d’enfants en situation de malnutrition ont pu bénéficier des produits de Nutriset. Nous pouvons être fiers de cette ‘pépite’ normande dirigée par une femme au talent remarquable, Adeline LESCANNE-GAUTIER.
Comme Directeur du pôle ‘Développement’ de l’entreprise, j’aurai pour mission principale de mettre en œuvre et d’alimenter la stratégie de développement de l’entreprise, de rechercher de nouveaux partenariats, de favoriser l’émergence de nouveaux produits contre la malnutrition et pour l’aunotomie nutritionnelle de tous. Nous travaillons notamment avec les Nations Unies, l’UNICEF, le Programme Alimentaire Mondial, Unitaid, l’OMS, Médecins sans Frontières et de nombreuses ONG. J’aurai la chance de pouvoir compter sur une équipe extrêmement dynamique, innovante, à la fois jeune et expérimentée, passionnément investie dans son travail.
[…]
Pourquoi Nutriset ? Pourquoi ce choix ? C’est pour moi un triple engagement, conforme aux valeurs de solidarité et de progrès que j’ai toujours portées dans mes responsabilités publiques.
Un engagement éthique, d’abord: je fais le choix de la lutte contre la faim dans le monde. Mettre en adéquation mon travail et mes valeurs; c’est fondamental pour moi.
Un engagement entrepreneurial ensuite: je fais le choix d’une entreprise de taille intermédiaire (une ETI), d’une ‘pépite’. Je crois que la France a besoin que l’on aide plus ses ETI. Je veux y contribuer, modestement mais concrètement.
Un engagement territorial enfin: je fais le choix de la Normandie puisque Nutriset est, depuis toujours, normande.
Mais derrière la success story humanitaire, dans laquelle progrès social et développement économique ne font qu’un, il y a une affaire de gros sous. Et plus précisément, d’argent public.
Au milieu de sa longue apologie, Mayer-Rossignol glisse un paragraphe fort imprudent :
Je tiens à lever toute ambiguïté concernant d’éventuels conflits d’intérêt : le dernier soutien financier de la Région Haute-Normandie à Nutriset remonte à fin 2013, il y a deux ans et demi. Durant ma présidence de Région en 2014 et 2015, je n’ai eu à gérer aucun dossier ni aucune demande d’aide financière pour cette entreprise.
Mensonge par omission
Il y a là un stupéfiant mensonge par omission, qui a échappé aux principaux médias régionaux qui ont recopié cette auto-justification sans en vérifier les éléments (complaisance, ou syndrome de La Lettre volée ?). Car ce n’est pas seulement « en 2014 et 2015 » que Mayer-Rossignol était président de Haute-Normandie, mais également « fin 2013 », à partir du 14 octobre plus précisément.
Or, c’est le 9 décembre 2013 que la commission permanente du Conseil régional, présidée par Mayer-Rossignol, a décidé d’attribuer une subvention de 200.000 euros à Nutriset au titre de l’aide régionale à l’investissement :
S’agit-il d’un remerciement pour service rendu ? Ou simplement d’un « partage des mêmes valeurs » (autres que financières, s’entend), selon la directrice générale de Nutriset, Adeline Lescanne-Gautier ?
L’éloignement des faits (deux ans et trois mois entre la subvention de la Haute-Normandie à Nutriset et le recrutement de Mayer-Rossignol par cette dernière) peut laisser penser qu’il n’y a aucun lien entre eux, et qu’il faut voir là une simple coïncidence plutôt qu’une causalité.
Peut-être. Mais le délit de prise illégale d’intérêts, passible de 5 ans de réclusion et 75.000 euros d’amende, n’implique pas forcément une simultanéité, ni même une intentionnalité, forcément difficile à prouver. Il implique simplement que le responsable a bénéficié de sa décision publique à titre privé.
Il reste à voir ce que les principaux intéressés, Nicolas Mayer-Rossignol et Nutriset, auront à répondre sur cette affaire qui relève, a minima, du conflit d’intérêts. Avant d’envisager la suite à lui donner.