Le sénateur-maire de Massy (Essonne) Vincent Delahaye a déposé un amendement au projet de loi « Sapin 2 » pour renforcer les sanctions à l’égard des élus et des administrateurs de collectivités territoriales pratiquant des reports de paiement d’une année sur l’autre afin d’améliorer artificiellement leurs comptes, une pratique constatée notamment dans l’ex-région Poitou-Charentes de Ségolène Royal, le département de Seine-Saint-Denis (présidé de 2008 à 2012 par un certain Claude Bartolone) ou l’Essonne.
Il nous a expliqué sa démarche dans une interview :
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Observatoire de la Corruption : M. le Sénateur, on parle beaucoup du projet de loi « Sapin 2 » ces jours-ci. On en oublierait presque qu’il y a eu une loi « Sapin 1 » en 1993. Celle-ci prévoyait déjà des sanctions contre les pouvoirs exécutifs locaux qui rendraient des comptes insincères. Pourquoi cet amendement ?
Vincent Delahaye : Parce qu’en 23 ans, l’usage a montré que les sanctions prévues par cette première loi étaient très incomplètes. Aux termes de cette loi, elles ne pouvaient s’appliquer que si l’insincérité des comptes résultait d’une faute intentionnelle. Or, l’intentionnalité est très difficile à prouver, ce qui rend les sanctions inopérantes. Il faut juger les faits, et non des pensées supposées, comme c’est déjà le cas dans le secteur privé où cet écart est sanctionné quelle que soit l’intention du responsable.
Si votre amendement était adopté, de grandes figures de la vie politique pourraient-elles se voir poursuivies ?
Cela permettrait en tout cas de mettre fin à des politiques de cavalerie budgétaire chronique. Dans l’Essonne, 108 millions d’euros de factures sont dans les tiroirs, soit 10% du budget de fonctionnement du conseil départemental ! Tant que la législation n’évoluera pas, les dirigeants continueront de se dédouaner en prétendant que « tout le monde fait comme ça », mais il faut justement responsabiliser les élus et les administrateurs. Il faut en finir avec le deux poids, deux mesures entre les secteurs public et privé, avec de lourdes sanctions dans le privé, et pas ou très peu de sanctions dans le public.
L’une des mesures prévues par votre amendement est de supprimer « l’ordre écrit », dispositif qui permet actuellement à un fonctionnaire de ne pas être sanctionné s’il peut se prévaloir d’un ordre écrit signé d’un élu. La responsabilisation des hauts fonctionnaires semble être le grand absent des débats autour du projet de loi « Sapin 2 ». Diriez-vous que c’est une loi anti-secteur privé ?
Elle n’est peut-être pas anti-secteur privé, mais il est sûr qu’elle est beaucoup plus sévère pour le secteur privé que pour le secteur public, pour lequel elle a une certaine clémence. Or, le secteur public doit s’assainir aussi. Il faut donc responsabiliser non seulement les élus, mais aussi les fonctionnaires pour éviter de nouvelles dérives.
Si vous faites partie de la majorité au Sénat, votre famille politique est dans l’opposition à l’Assemblée nationale. Votre amendement peut-il vraiment être adopté ?
Je compte paradoxalement sur Michel Sapin, qui en 1993 aurait voulu aller plus loin que le texte finalement adopté, et qui avait dû l’adoucir pour éviter une levée de boucliers. Il est donc possible qu’il accepte mon amendement, et que la majorité à l’Assemblée nationale le suive. Mais s’il ne le fait pas, une nouvelle majorité le fera peut-être en 2017 !
Pour finir, nous aimerions nous faire pour une fois les « avocats du diable » : que répondriez-vous à quelqu’un qui vous dirait que dans un contexte de crise structurelle des finances publiques, ce type de pratique est inévitable pour éviter à des collectivités territoriales de se retrouver en défaut de paiement ?
Je lui répondrais d’abord que cette cavalerie budgétaire n’est pas inévitable, et qu’il y a des solutions pour éviter de laisser les comptes publics partir à la dérive. Je lui répondrais ensuite et surtout que ce problème — réel — doit précisément être réglé tout de suite, en prenant les mesures qui s’imposent. La fuite en avant n’est pas une solution. Plus nous tarderons à prendre ces mesures, plus elles seront douloureuses.
(Propos recueillis par Roman Bernard)