Six ministres, détenteurs du pouvoir exécutif, sont candidats à la députation, et donc au pouvoir législatif.

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Dans le gouvernement Philippe, six ministres sont candidats aux élections législatives des 11 et 18 juin prochains : Christophe Castaner, Richard Ferrand, Annick Girardin, Bruno Le Maire, Mounir Mahjoubi et Marielle de Sarnez.

Le nouveau Premier ministre a édicté une règle très stricte pour ceux de ces six-là qui viendraient à être battus : ils devront quitter le gouvernement.

Ce à quoi nous répondrons que nous ne voyons pas vraiment le rapport. Un ministre n’est pas un élu. Il est, sur proposition du Premier ministre, nommé par le président de la République, lequel est élu au suffrage universel sur l’ensemble du corps électoral. Dès lors, en quoi la défaite de tel ou telle dans une circonscription représentant 1/577e du corps électoral rendrait-elle impossible la poursuite de ses fonctions ?

On se souvient qu’en 2007, Alain Juppé, ministre de l’Écologie, avait dû démissionner à la suite de sa défaite aux élections législatives suivant l’élection de Nicolas Sarkozy. Cela aurait dû dissuader les six ministres de l’actuel gouvernement de prendre un tel risque, mais peut-être, justement, ne sont-ils pas si téméraires. Peut-être veulent-ils jouer sur deux tableaux à la fois : à l’inverse de leurs autres camarades du gouvernement, qui se retrouveraient sans mandat ni portefeuille en cas de démission ou de remaniement ministériel qui leur serait défavorable, ces « ministres-députés » pourraient retrouver un siège au Palais Bourbon un mois après le départ de leur ministère.

L’effet pervers de la révision constitutionnelle de 2008 : les cas Thévenoud et Valls

Cette bizarrerie est due à la révision constitutionnelle de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy. Parmi les mesures votées par le Congrès (Assemblée nationale et Sénat réunis à Versailles) d’alors, le recouvrement automatique de son siège parlementaire par un ministre ou secrétaire d’État quittant le gouvernement.

Cet effet pervers avait déjà été constaté en septembre 2014 lors de l’affaire Thévenoud. Débarqué du gouvernement après 9 jours seulement pour fraude fiscale, l’éphémère secrétaire d’État au Commerce extérieur était redevenu député de Saône-et-Loire, ce qui avait scandalisé des centaines de milliers de Français.

Plus récemment, c’est Manuel Valls qui a illustré le caractère dysfonctionnel de cette réforme. Démissionnaire de Matignon le 6 décembre dernier, l’ancien Premier ministre a automatiquement récupéré son siège de député de l’Essonne un mois plus tard. Occupé par la campagne de la primaire socialiste jusqu’au 29 janvier, il a ensuite décidé de prendre quelques semaines de repos après sa cuisante défaite au second tour face à Benoît Hamon. Et la législature s’est terminée le 22 février sans qu’il soit revenu une seule fois au Palais-Bourbon. Mais on suppose qu’il a vu la couleur de ses indemnités parlementaires.

Une atteinte à la séparation des pouvoirs

Sur le plan institutionnel, cette « passerelle » automatique entre le gouvernement et le Parlement est une véritable atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.

Plutôt que de laisser leurs ministres jouer à quitte ou double (soit la présence au gouvernement avec le plan B parlementaire, soit l’échec sur les deux tableaux), Emmanuel Macron et Édouard Philippe devraient plutôt s’assurer d’avoir des ministres pleinement investis dans leur portefeuille, et prêts à obtenir les résultats auxquels le chef de l’État a conditionné leur maintien en fonctions.

Quel serait le sens de reproduire le scénario d’Alain Juppé, ministre un mois en 2007, au nom d’une interprétation fausse du suffrage universel et au mépris de l’indépendance réciproque de nos institutions ?

Observatoire Corruption

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