Ce jeudi 25 mai paraît aux éditions Max Milo Un Village sous influence ou L’École de la délinquance de nos élus de Nicolas Tavernier, photographe de presse et ancien élu local de l’Oise (Picardie).
Adjoint pendant des années au maire d’Avilly-Saint-Léonard, Nicolas Tavernier représentait son village à la communauté de communes de l’aire cantilienne, présidée depuis 1995 par le maire de Chantilly et ancien ministre Éric Woerth, dont il est naturellement beaucoup question au fil de l’ouvrage.
La figure d’Éric Woerth est en effet le fil conducteur du livre : c’est par la lecture de ses agissements au niveau local que l’on comprend mieux les dysfonctionnements de notre démocratie au niveau national.
Le mérite principal de Nicolas Tavernier est de tordre le cou à une idée reçue, selon laquelle « le poisson pourrit par la tête », avec un échelon national gangrené par la corruption et une démocratie locale certes sous la menace, mais saine et vivace. Un lieu commun déjà battu en brèche par Jacques Duplessy et Guillaume de Morant dans leur Tour de France de la Corruption (Grasset).
En réalité, si l’on en croit Tavernier, c’est davantage à un arbre qu’à un poisson qu’il faudrait comparer la démocratie française, celle-ci pourrissant par les racines, un arbre que, selon l’Évangile de saint Matthieu, on reconnaît à ses fruits. Ce serait donc parce que la démocratie locale serait le laboratoire de la corruption que celle-ci fleurirait tant au niveau national. Ainsi, la popularité des maires de France, par opposition aux autres catégories d’élus et de responsables politiques, s’expliquerait en partie par le clientélisme qui règnerait dans nos territoires.
Pas d’élus corrompus sans des citoyens corrompus eux aussi
À l’appui de cette thèse fort peu démagogique, Nicolas Tavernier rappelle qu’il ne pourrait y avoir d’élus corrompus sans une population qui, elle aussi, cherche à tirer un profit individuel de la mise en commun des ressources de la communauté. On retrouve là l’interrogation de l’économiste Bertrand Lemmenicier, qui se demandait il y a quelque temps déjà qui, de l’élu ou du citoyen, est le plus corrompu.
Et Tavernier de citer une pratique courante, celle de nombreux Français allant quémander des avantages dans la permanence parlementaire de leur député de circonscription (pp. 20-21) :
« Les Français dénoncent à cor et à cri les comportements délictueux de certains de leurs ministres et dirigeants, à juste titre. Mais souvent, le Français est le premier à tolérer, voire à demander de “petits” passe-droits à ses élus afin d’arranger l’ordinaire de son fils, belle-mère, gendre ou copain. Une cohérence s’impose dans le comportement individuel. Avant même d’avoir le droit de s’offusquer de tels ou tels agissements des ministres Cahuzac, Thévenoud, etc., nous devons nous poser la question de notre propre comportement. »
Vaste programme ! Car une fois passé le double écueil du « tous pourris ! », d’une part, et d’autre part celui du mythe d’une « infime minorité » de dirigeants corrompus, fausse dichotomie que nous dénoncions dans notre Livre Blanc, il faut en effet se demander si, pour reprendre le mot de Joseph de Maistre, une nation n’a pas « le gouvernement qu’elle mérite ».
Après tout, les élus n’étaient, avant de le devenir, que des citoyens, et l’élection ne les a pas fait changer de nature, en mal comme en bien. Soyons provocateurs et disons, ce que Tavernier approuvera probablement, qu’il ne peut y avoir d’élus « pourris » sans des citoyens… « pourris » eux aussi.
Le déclin du courage
Si ce livre est sans concession, il n’oublie pas les ressorts psychologiques de la corruption. Bien souvent, la source du problème est bien moins l’appât du gain ou la soif de pouvoir que, tout bonnement, la pesanteur de l’habitude et la lâcheté face aux mauvaises pratiques.
L’auteur relate une anecdote édifiante sur un vote d’une enveloppe de 3,2 millions d’euros de la communauté de communes pour l’extension d’une piscine. Comme souvent, il est le seul conseiller communautaire à ne pas voter le budget voulu par Éric Woerth. Et un autre conseiller, bien qu’ayant voté avec la meute, va dans la foulée s’insurger contre l’explosion des dépenses publiques dans ce tout petit bout de Picardie (pp. 136-138) :
« Pire encore que cette petite veulerie ordinaire des élus dont l’engagement et la responsabilité ne devraient jamais empêcher d’exprimer leur profonde conviction (où s’abstenir quand sur certains sujets, ils n’ont pas de conviction, ce qui est possible), le comportement du premier adjoint au maire d’Apremont, M. Éric Aguettant, assis en face de moi. Lui, c’est exactement trois secondes après avoir entériné et voté la délibération proposée par Woerth, qu’il a demandé la parole pour partir dans une diatribe assassine à l’égard de cette assemblée d’élus qui validait un projet de 3 millions d’euros “alors même que les recettes pendantes ne sont pas garanties”, disait-il. […] Éric Aguettant ajoutait : “Je voudrais faire un petit commentaire. Sur le plan éthique, je trouve ahurissant l’ensemble des propos que je viens d’entendre. Notre pays est en faillite, on le sait, on ne sait pas par quel mystère on arrive à tenir encore. Je trouve ahurissant que dans une assemblée du niveau de celle-ci, on continue à parler de dépenses non couvertes par les recettes. Là, on parle de 3,2 millions, sur quelques années, c’est quand même 3,2 millions non couverts. […] Il n’y a pas de baguette magique. Il faudrait […] avoir d’autres idées qui nous permettraient de ne pas s’endetter parce qu’il est évident que les années à venir ne seront pas des années où l’État va remettre de l’argent dans les collectivités locales. C’est évident. Donc je pense qu’il faut trouver des formules qui nous permettent de sortir de l’impasse dans laquelle on se trouve ! Autour de cette table, chacun d’entre nous doit un moment se poser la question : est-ce que véritablement on en est encore à financer des équipements de ce niveau-là alors que l’on sait très bien où nous allons par ailleurs ?”. Si l’analyse de cet élu était frappée au coin du bon sens, pourquoi a-t-il alors validé par son vote favorable la proposition de Woerth ? »
Et si la cause principale de la corruption en France n’était autre que ce qu’en 1978, l’écrivain russe dissident Soljénitsyne a appelé, dans un discours à Harvard devenu célèbre, « le déclin du courage » ?
Ce n’est en tout cas pas Nicolas Tavernier qui en aura manqué pour sortir ce livre, qui risque de lui valoir des inimitiés durables dans sa région.
Mais comme nous le notions au sujet d’Éric Darques pour la région lilloise presque voisine, « là où la plupart des citoyens auraient jeté l’éponge, [Éric Darques] s’obstine, sur son temps libre et à ses frais personnels. Son exemple fait rêver d’une France où chacun des 101 départements compterait au moins un militant anticorruption aussi persévérant. »
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Nicolas Tavernier, Un Village sous influence ou L’École de la délinquance de nos élus, Max Milo, 230 p.

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Nicolas Tavernier n’oublie pas non plus les dirigeants nationaux, avec ce passage éclairant (p. 113) sur la déconnexion des ministres avec la réalité du terrain :