C’est assurément le fait de la semaine écoulée : dimanche dernier, une action concertée d’une centaine de grands titres de presse a permis de dévoiler l’identité de milliers d’individus détenteurs de sociétés offshore, dont un certain nombre de personnalités importantes de la politique, de l’économie et même du sport internationaux.

Plus de 2,6 téraoctets de données (11,5 millions de fichiers accumulés depuis 1977) ont ainsi été dérobés à Mossack Fonseca, une société du Panama, ce petit pays d’Amérique centrale souvent qualifié de « paradis fiscal » par les médias occidentaux. C’est au Panama et dans d’autres « paradis fiscaux » que ce cabinet a créé, ou aidé à créer, environ 214.000 sociétés.

Le procédé utilisé — un vol de données, comme dans des affaires précédentes concernant les banques HSBC et UBS en Suisse — a conduit de nombreux dirigeants politiques, dont François Hollande, à invoquer la protection des lanceurs d’alerte face à d’éventuelles mesures de rétorsion, légales ou illégales.

Et sur le principe, l’idée de défendre les lanceurs d’alerte est peu contestable. Si un collaborateur d’une entreprise privée ou publique, ou d’une administration, avait connaissance de pratiques condamnables de son employeur au regard de la loi et de la morale, n’aurait-il pas le droit, et même le devoir, de les porter à la connaissance du public, ou au minimum des autorités compétentes ? Et ne devrait-il pas être protégé des éventuelles représailles dont il pourrait faire l’objet ?

Aussi évidente que soit la réponse à cette question, elle n’est pas satisfaisante dans le cas des désormais célèbres « Panama Papers ». Car comme l’ont concédé eux-mêmes les médias à l’origine de cette fuite, dont Le Monde pour la France, une grande partie des opérations financières rendues publiques ne sont pas illégales.

Transparence : bonne pour la vie publique, dangereuse pour la vie privée

En fait, leur mise sur la place publique illustre l’argument de Jean-Philippe Feldman lors de notre dernier Rendez-Vous parlementaire, selon lequel la transparence, bonne par principe lorsqu’il s’agit de la vie publique, est dangereuse, voire totalitaire pour ce qui concerne la vie civile, privée.

Loin d’aider à faire la part des choses entre ce qui doit être porté à la connaissance du public et ce qui relève du droit au respect de la vie privée, ce dévoilement conduit à mettre dans le même sac de simples agents économiques ayant, en toute légalité, créé une société au Panama, et les dirigeants de régimes peu recommandables ayant soustrait l’argent de leurs pays respectifs à leur profit exclusif, en utilisant la protection du petit pays d’Amérique centrale pour cacher leurs méfaits.

L’accent mis sur l’évasion fiscale (un vocable connoté négativement, bien que l’on s’évade en règle générale d’une prison) a fait passer au second plan la source de certaines fortunes placées à l’abri des regards au Panama : la corruption de nombreux dirigeants, sans laquelle les transferts incriminés n’auraient pu avoir lieu.

De même, le saut opéré par les médias entre l’évasion et la fraude fiscale a fait perdre de vue les facteurs pouvant expliquer cette dernière. L’une des personnalités les plus éclaboussées par ces « Panama Papers », le footballeur argentin Lionel Messi, est ainsi accusé d’avoir distrait au fisc espagnol un argent qui aurait dû lui échoir. Les déclarations de revenus du meneur de jeu du FC Barcelone ne nous sont pas connues, mais dans sa présentation du cas Messi, Le Monde ne s’est pas demandé si l’Argentin n’avait pas déjà considérablement contribué au budget de son État d’accueil.

La question oubliée du niveau des prélèvements obligatoires

Si le Panama a fait figure de « paradis fiscal » (encore un terme positif ayant acquis, par le miracle de saint Fisc, une connotation négative) pour Messi, n’est-ce pas parce que l’Europe est, pour sa part, un « enfer fiscal » ? Plus simplement, le niveau des prélèvements obligatoires de toute nature (impôts, taxes, cotisations, contributions) n’est-il pas une incitation à l’évasion, voire à la fraude ?

Ces questions n’ont pas été posées par les médias à l’origine de la fuite des documents de Mossack Fonseca. Plus grave, le message qui ressort de cette semaine de « buzz » médiatique est que, par principe, vouloir investir ses capitaux dans des pays à la fiscalité clémente est immoral, comme si toute richesse, in fine, appartenait au fisc du pays dans lequel elle est produite.

Au surplus, la leçon qui semble être tirée de cette affaire est que les États les plus taxateurs, en Europe ou ailleurs, n’ont à remettre en question ni le niveau de leurs dépenses publiques, dont celui des prélèvements obligatoires est la conséquence, ni non plus les méthodes qu’ils utilisent pour acquérir ce qu’ils estiment leur être dû. On entend déjà des responsables politiques affirmer que les déficits publics pourraient être équilibrés par la simple taxation des capitaux placés dans les « paradis fiscaux ».

Et pendant que l’on jette en pâture au public une liste de noms, la corruption, dans les administrations, dans les institutions représentatives, continue de plus belle. Elle échappe au débat sur les « Panama Papers », alors qu’elle aurait dû en être le sujet central.

Observatoire Corruption

Contribuables Associés contre la corruption et pour la transparence de la vie publique.