Grenoble a fait parler d’elle ces derniers temps, avec une subvention de 25.000 euros pour financer un festival de street-art dans lequel était exposée une fresque intitulée « L’État matraquant la liberté » (en référence à la « Liberté guidant le peuple » d’Eugène Delacroix), sur laquelle Marianne est représentée à terre, frappée par deux CRS dont l’un des deux porte un bouclier figurant l’inscription « 49.3 », en référence à l’usage de ce dispositif par le gouvernement pour faire adopter la loi El-Khomri, dite « Loi Travail », sans débat ni vote au Parlement.

Il y a quelques mois, le maire de la capitale dauphinoise, l’écologiste Éric Piolle, avait organisé une « journée sans service public » pour protester contre la réduction de la dotation globale de fonctionnement (DGF) de l’État aux collectivités territoriales, sans pour autant envisager de rembourser aux contribuables la journée d’impôts locaux ayant servi à financer des services publics inopérants.

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Christophe Ferrari Pont-de-Claix Grenoble IsèrePlus récemment, c’est une ville moins connue du sud de la Métropole de Grenoble, située le long du Drac et non loin du Vercors, Pont-de-Claix, qui a fait la une de la presse locale dans le cadre d’un procès en diffamation intenté par son maire socialiste, Christophe Ferrari (également président de « La Métro ») et sa directrice de cabinet à un journal satirique local, Le Postillon.

L’article incriminé ne respecte certes pas les canons de l’écriture journalistique. Dans ce reportage à charge sur la ville de la banlieue grenobloise, seuls des fonctionnaires territoriaux sous anonymat témoignent, sans que le maire ou son cabinet soient cités, ni même sollicités. (S’il eût été peu probable que Ferrari ou son équipe se prêtent de bon cœur aux interviews d’un média clairement critique de leur politique, ce dernier aurait pu, a minima, les contacter pour constater en toute bonne foi leur refus de répondre à ses questions.)

Cela étant posé, la publication d’un droit de réponse du maire aurait dû suffire à rééquilibrer le débat. Mais les élus sont très chatouilleux quand leur image de marque est en jeu, et le sont d’autant plus que contrairement au justiciable de base, ils peuvent agir en justice aux frais des contribuables. Et lorsqu’ils poursuivent un média local, comme c’était aussi le cas à Aigues-Vives (Gard) et Roquebrune-sur-Argens (Var), on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a, au-delà du prétexte commode de la lutte contre la diffamation, une volonté de faire taire les opposants ou les critiques, en les attaquant directement au portefeuille.

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En dépit de ses manques déontologiques, l’article du Postillon nous en dit long sur les pratiques qui ont cours à Pont-de-Claix et dans tant d’autres collectivités territoriales en France :

« Dans la garde rapprochée de Ferrari, piston et copinage fonctionnent à plein régime. La belle-sœur du premier adjoint Sam Toscano a ainsi obtenu le poste de secrétaire du maire, tandis que le frère de ce dernier, James Toscano, a été nommé gardien du centre aéré, avec le logement de fonction et la piscine qui vont avec. Naturellement, dans ce type de cas, le piston est difficile voire impossible à prouver. Pourtant, la coïncidence est troublante… Même chose à l’EHPAD où Philippe Serre a fait placer l’une de ses proches, au vu et au su de tout le monde. Par ailleurs, les élus se sont octroyés deux augmentations de leur indemnité, une première fois le 17 avril 2014 et la seconde le 2 juillet 2015, d’après les délibérations municipales – l’indemnité du maire a ainsi été majorée d’environ 370 € bruts en un peu plus d’un an. »

Dans son droit de réponse, Ferrari conteste cette augmentation des indemnités des élus, disant même qu’elle a baissé sous son égide. Mais l’édile ne dit pas toute la vérité : en tant que président de la Métropole, il a fait augmenter, dès la création de cette nouvelle collectivité, l’indemnité des conseillers communautaires de Grenoble, sachant que son indemnité de président de la Métropole, qui s’ajoute à son indemnité de maire, s’élève à 5512 euros bruts par mois. Notons également qu’en tant que professeur des universités, il bénéficie déjà d’une rémunération décente — d’argent public — de l’Université Joseph-Fourier-Grenoble 1. (Laissons de côté la sempiternelle question : comment Ferrari trouve-t-il le temps d’être à la fois enseignant-chercheur, maire et président de Métropole ? Question toute rhétorique puisque ce cumul se fait nécessairement au détriment de l’une de ses fonctions, toutes financées par le contribuable.)

On apprend aussi incidemment dans l’article du Postillon que l’absentéisme est un véritable fléau à Pont-de-Claix, malgré les dénégations de l’équipe municipale :

« La ville de Pont-de-Claix est passée de 16 828 journées d’absence cumulées en 2011 à 20 255 en 2013. « On a un équivalent de 40 agents absents toute l’année mais le maire nous a dit qu’on était dans la moyenne nationale », ajoute-t-elle. « Ces dernières années, on a eu beaucoup d’absentéisme et d’arrêts maladie », souligne le premier nommé. « Chaque jour, on recensait au moins 60 absents sur un peu plus de 500 agents. » Benjamin évoque quant à lui un taux d’absentéisme de plus de 10 %, donc supérieur à la normale. S’il est difficile d’obtenir des chiffres précis tant les formules de calcul divergent, une étude récente du courtier en assurance Sofaxis évalue à 7 % le taux d’absentéisme moyen dans une collectivité locale, en 2013. »

Le tableau est complet avec la dépense en 2013 de 330.000 euros — dans une ville de seulement 11.000 âmes et en proie à la crise de son industrie — pour la transformation d’un ancien château d’eau en « phare urbain » qui aveugle les habitants des contreforts du Vercors vivant à hauteur de projecteur.

Tous ces agissements ne pourraient être connus sans le travail des médias locaux, quelles que soient les critiques que l’on puisse formuler concernant certaines de leurs méthodes d’investigation. Et ce travail ne pourra se faire si les élus peuvent condamner à la fermeture les médias qui leur déplaisent, en utilisant l’argent des contribuables pour traîner leurs détracteurs devant les tribunaux.

Observatoire Corruption

Contribuables Associés contre la corruption et pour la transparence de la vie publique.