
Le mardi 5 avril avait lieu à l’Assemblée nationale le 46e Rendez-Vous Parlementaire du Contribuable, sur le thème « Argent public : la transparence pour renouer la confiance avec les citoyens-contribuables ». Intervenants : Véronique Besse, député de Vendée, Jean-Philippe Feldman, professeur de droit et avocat, et Philippe Pascot, auteur de « Pilleurs d’État ».
Florence Pichard du Page (responsable des relations avec les membres de Contribuables Associés), qui animait les débats, a conclu ce Rendez-Vous parlementaire par l’annonce officielle du lancement de l’Observatoire de la Corruption :
Comme Florence Pichard du Page l’a noté à plusieurs reprises, les débats étaient très animés. Quand l’on se frotte à un thème aussi délicat que celui de la transparence (et son absence dans les institutions), on peut s’attendre à des réactions très virulentes de la part des députés présents, d’autant plus virulentes qu’ils ne sont pas concernés par le constat fait par les intervenants. À ce Rendez-Vous parlementaire du Contribuable étaient présents des députés honnêtes, qui vivent mal le discrédit général qui touche les parlementaires lorsque plusieurs de leurs représentants outrepassent la loi qu’ils ont la charge de voter.
Ce n’étaient pas Thomas Thévenoud, Sylvie Andrieux ou Patrick Balkany qui participaient à cette réunion de travail, c’est entendu. Mais justement, pour « trier le bon grain de l’ivraie », ne faut-il pas commencer par parler du phénomène de la corruption dans son ensemble ?
C’était l’avis de Véronique Besse, député non-inscrit de Vendée, qui note comme Contribuables Associés le fossé grandissant entre les citoyens-contribuables et leurs élus à mesure que s’amoncellent les affaires Bygmalion, Tapie-Lagarde ou Bettencourt. Ces affaires sont d’autant plus scandaleuses aux yeux des Français qu’elles interviennent alors qu’on leur demande, crise des finances publiques aidant, de plus en plus d’efforts auxquels de nombreux élus pensent pouvoir se soustraire.
C’est notamment pour cette raison que Véronique Besse a déposé une proposition de loi pour mettre fin à la pratique clientéliste de la réserve parlementaire, qu’elle avait dénoncée dès 2015 lors d’une interview pour Contribuables Associés :
Le rôle d’un parlementaire, a rappelé le député, est de voter la loi, le budget, de contrôler l’exécutif et d’évaluer les politiques publiques, et non d’utiliser l’argent des contribuables pour subventionner des associations ou des collectivités territoriales.
« La cocotte-minute va exploser » (Philippe Pascot)
Si la réserve parlementaire n’était pas le sujet principal de cette réunion, elle a considérablement orienté la suite des débats, puisque Philippe Pascot (à gauche sur la photo), auteur de Délits d’élus (dont la seconde édition, Du goudron et des plumes, sera bientôt publiée) et Pilleurs d’État, en a abondamment parlé au cours de son intervention.
L’ancien adjoint de Manuel Valls à la mairie d’Évry (Essonne), note comme Véronique Besse le décalage grandissant entre les élus et les citoyens, et plaide en conséquence pour une transparence totale de la vie publique, objet de ce Rendez-Vous palrementaire.
Si l’essayiste a pris soin de ne pas mettre tous les élus dans le même sac (ce dont les députés présents ne lui ont pas forcément su gré), il note que plus l’on monte dans la pyramide des institutions, plus l’on trouve d’élus hors-sol, guidés par le carriérisme plus que par le souci du bien-être de la cité.
Outre la réserve parlementaire, Philippe Pascot a pointé le problème de l’absence totale de transparence entourant les frais de mandat des parlementaires, avec l’usage discrétionnaire fait par ces derniers de leur fameuse IRFM, ayant servi dans plusieurs dizaines de cas à acheter une permanence, voire une villa comme dans le cas le plus emblématique du député-maire de Saint-Raphaël (Var), Georges Ginesta.
Avec le discrédit qui touche la classe politique, note Pascot, l’abstention bat des records, conduisant à la constitution d’une classe politique non-représentative puisque émanant des suffrages d’une minorité des électeurs.
Si l’auteur appelle à des mesures fermes pour mettre fin à ces abus, il ne soutient pas pour autant la proposition de loi des députés Cinieri et Morel-À-L’Huissier (soutenue par Contribuables Associés) visant à permettre l’inéligibilité à vie des élus condamnés pour corruption ou fraude fiscale (il redoute sa censure par le Conseil constitutionnel), lui préférant l’interdiction générale de se présenter à une élection sans casier judiciaire vierge, comme c’est le cas pour 350 professions en France.
Pascot remarque à ce sujet que le décalage entre les élus et la population se traduit aussi, très prosaïquement, en matière de rémunérations. Lorsqu’il a enquêté pour écrire Pilleurs d’État, il n’a pas trouvé un seul parlementaire dont les revenus nets étaient inférieurs à 13.000 euros par mois, ce qui les place largement dans le décile des Français les mieux rémunérés.
Pascot a conclu son intervention par une mise en garde : « la cocotte-minute va exploser ».
Et dans l’immédiat, c’est la cocotte de plusieurs députés qui a explosé, notamment celles de deux députés du Midi, Guy Tessier (Bouches-du-Rhône) et Philippe Vitel (Var), qui ont notamment contesté le qualificatif de clientéliste pour désigner la réserve parlementaire, thème involontaire du jour.
Pascot, qui n’a pas retiré ce qualificatif, leur a fait observer que la preuve que les élus sont devenus une caste à part dans la société, c’est que les citoyens ne sont pas égaux avec eux face à la justice. Quand un élu est poursuivi en justice, ses frais d’avocats sont couverts par sa collectivité territoriale, tandis que les contribuables qui lui font face doivent payer les leurs, et même ceux de l’élu par le biais des impôts locaux ! C’est ce que Josette Mimouni, opposée en justice au maire de Roquebrune-sur-Argens (Var encore) Luc Jousse, avait appelé la « double peine des contribuables ».
L’atmosphère s’est assagie avec l’intervention du toujours pondéré Jean-Philippe Feldman (à droite sur la photo), professeur de droit et avocat.
Comme l’a noté cet habitué des réunions publiques de Contribuables Associés, le mot « transparence » est à la mode. Et si celle-ci est dangereuse pour la vie civile, privée, elle est par principe une bonne chose pour la vie publique.
Fort heureusement, il existe des remèdes juridiques pour assurer la transparence de la vie publique. Prenant l’exemple des frais de mandat des parlementaires, le juriste note l’existence de deux systèmes, le franco-allemand d’une part, avec une enveloppe échappant à tout contrôle, et d’autre part le système anglo-saxon (qui a la faveur de Contribuables Associés), avec, comme dans toute entreprise, grande comme petite, un remboursement des frais sur preuve.
Jean-Philippe Feldman propose un troisième système, qui consisterait à verser une seule enveloppe aux parlementaires, couvrant leurs dépenses personnelles comme leurs frais de représentation. Celle-ci serait assujettie à l’impôt sur le revenu, ce qui forcerait les parlementaires, qui seraient concernés par la tranche d’imposition la plus élevée, à une certaine sagesse en matière de taxation.
La réserve parlementaire porte atteinte à la séparation des pouvoirs
Concernant la réserve parlementaire, Feldman remarque qu’elle fait apparaître une confusion des pouvoirs et des échelons territoriaux, puisqu’elle permet au pouvoir législatif national de subventionner des pouvoirs exécutifs locaux.
Pour finir sur une note optimiste, l’avocat juge positif que le seuil de tolérance aux scandales s’abaisse. La recrudescence des scandales traduit moins une aggravation de la situation qu’une évolution salutaire des mentalités. On peut imaginer qu’une affaire Thévenoud aurait été impossible il y a encore quelques années, l’opinion publique ne jugeant pas qu’elle mérite une indignation nationale.
Plus largement, Feldman voit dans le problème de la professionnalisation de la politique, que le montant des indemnités illustre, une conséquence d’un État trop interventionniste, trop centralisé, qui exige un travail législatif à plein temps.
Ce à quoi Philippe Pascot lui a objecté, juste avant la fin des débats, que le taux de présence lors des votes de loi à l’Assemblée nationale était particulièrement faible, et en baisse constante : de 25% en 2013, il est passé à 21% en 2014, et 16% en 2015.
L’évolution des mentalités est encourageante, mais sa transcription dans les usages politiques se fait encore attendre.