Le scandale provoqué par la révélation des « Football Leaks », comme par celle des « Panama Papers » en avril dernier, empêche de distinguer la gravité des différents cas d’évasion fiscale : celle d’acteurs économiques privés qui cherchent à mettre à l’abri une partie de leurs revenus et celle de dirigeants publics corrompus, qui siphonnent les recettes fiscales de leurs propres États.
Il est beaucoup question depuis vendredi de l’affaire dite des « Football Leaks », qui fait apparaître que des joueurs et entraîneurs parmi les plus prestigieux (notamment l’attaquant du Real Madrid Cristiano Ronaldo et son compatriote portugais José Mourinho, entraîneur de Manchester United) auraient placé une part substantielle de leurs revenus dans des « paradis fiscaux », avec l’aide de leur agent, lui aussi portugais, Jorge Mendes.
Cette affaire rappelle celle, en avril dernier, des « Panama Papers », qui avait éclaboussé une autre star du ballon rond, l’Argentin Lionel Messi.
À l’époque, nous notions au sujet du quadruple Ballon d’Or que « dans sa présentation du cas Messi, Le Monde [l’un des médias à l’origine de la révélation des Panama Papers] ne s’est pas demandé si l’Argentin n’avait pas déjà considérablement contribué au budget de son État d’accueil ».
La même question se pose au sujet de son grand rival Cristiano Ronaldo. Il lui est reproché d’avoir soustrait 150 millions d’euros au fisc espagnol et n’avoir payé « que » 5,6 millions d’euros d’impôt sur le revenu depuis son arrivée au Real Madrid en 2009.
En inversant la perspective adoptée par les médias à l’origine des Football Leaks, on peut considérer que le triple Ballon d’Or a déjà beaucoup contribué aux services publics de son pays d’adoption.
Aussi, n’est-il pas logique, à défaut d’être légal, de vouloir placer ses revenus dans des États à la fiscalité plus clémente lorsque l’on paie déjà beaucoup d’impôts ?
La dénonciation quasi-unanime de l’« évasion fiscale » et des « paradis fiscaux » fait oublier que c’est en règle générale d’une prison que l’on s’évade, et que la notion de « paradis » fiscal est toute relative : s’il y a des « paradis fiscaux », c’est qu’existent en comparaison des enfers fiscaux, comme le sont la quasi-totalité des pays d’Europe, où le niveau des prélèvements obligatoires de toute nature (impôts, taxes, cotisations, contributions) constitue une puissante incitation à l’évasion, voire à la fraude.
Éluder cette question conduit à considérer que toute richesse, in fine, appartient au fisc du pays dans lequel elle est produite. Ce qui dédouane les États les plus taxateurs de toute responsabilité quant au niveau de leurs dépenses publiques, source de leur surfiscalité.
La gravité de l’évasion fiscale dépend de la source des revenus, publique ou privée
Plus problématique encore, dans ces deux affaires est entretenue une confusion dangereuse entre les différents cas d’évasion fiscale : celle, d’une part, d’acteurs privés, cherchant à mettre une partie de leurs revenus à l’abri de la taxation, et d’autre part celle de responsables publics, dont les revenus proviennent des impôts payés par leurs administrés, et qui se comportent en pillards de leurs propres populations.
Ainsi, est-il parfaitement honnête de mettre dans le même sac des footballeurs dont la carrière sera terminée à 35 ans (une perspective proche pour Cristiano Ronaldo, 31 ans) et dont les revenus proviennent d’activités légales et privées, et des dirigeants corrompus qui ont siphonné les recettes publiques de leurs États pour se constituer de véritables trésors de guerre, la guerre qu’ils mènent à leurs propres peuples ?
Tant qu’une distinction claire n’aura pas été opérée entre ces deux cas de figure, les scandales de type « leaks », appelés à se multiplier avec l’essor des hackers, induiront en erreur des opinions publiques manipulées.
L’opprobre sera jeté sur un nombre croissant d’acteurs économiques (les richissimes footballeurs servant d’alibi pour cibler au final l’ensemble des acteurs privés) tandis que la corruption des responsables publics, véritable angle mort de toutes ces affaires, continuera de plus belle.