Au micro de l’Assemblée nationale, le député de l’Aube s’est livré, avec force trémolos dans la voix, à une tirade enlevée de défense des miséreux, au premier rang desquels… les parlementaires. Une envolée lyrique digne des plus belles pages de Germinal, qui ne résiste toutefois pas longtemps à l’examen des faits.
La séance de l’Assemblée nationale du jeudi 17 novembre consacrée au projet de loi de finances pour 2017 a vu l’adoption d’un amendement du député PS du Puy-de-Dôme Christine Pirès-Beaune qui instaure la fiscalisation de l’indemnité de fonction des parlementaires.
La rémunération des députés, d’environ 11.000 euros net par mois, se décompose en deux parties : une indemnité mensuelle de 7100,15 euros brut (5148,77 euros net) et une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), non contrôlable et non imposable de 5770 euros mensuels.
L’indemnité mensuelle est elle-même composée de trois volets, à savoir :
- Une indemnité de base de 5514,68 euros brut par mois
- Une indemnité de résidence de 165,44 euros brut par mois
- Une indemnité de fonction de 1420,03 euros par mois
Pour une raison qui échappe à l’observateur avisé, ce troisième volet, l’indemnité de fonction, n’était pas imposable, au contraire des deux premiers, jusqu’à l’adoption de l’amendement déposé par Christine Pirès-Beaune.
On aurait pu penser que la fiscalisation de l’ensemble de la rémunération des parlementaires aurait fait consensus. Pourtant, le député LR de l’Aube, Nicolas Dhuicq, s’y est opposé, invoquant des motifs assez surprenants, dans une apostrophe indignée où le pathos l’emportait largement sur la raison.
Avant qu’il prenne la parole, le député UDI de la Marne, Charles de Courson, s’est prononcé en faveur de l’amendement, avant toutefois de déclarer que « si [les parlementaires étaient] moins nombreux et mieux payés, le Parlement fonctionnerait mieux ».
Nicolas Dhuicq lui a emboîté le pas, dans un registre sensiblement plus émotionnel que celui du toujours pondéré Courson, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous :
Voici les principales déclarations de Nicolas Dhuicq, et nos commentaires :
- « Les élus doivent être correctement rémunérés pour qu’ils ne soient pas corruptibles » : tout d’abord, on peut estimer qu’avec 11.000 euros net par mois, les députés sont plus que correctement rémunérés. Ajoutons, comme nous l’écrivions au sujet de Bruno Le Maire qui expliquait la corruption de la classe politique par le Qatar par l’idée qu’elle serait « mal rémunérée », que cette conception relève du sophisme car elle implique qu’il existerait une limite matérielle à la corruptibilité. Or, aucune limite de ce type n’existe : la minorité d’élus corruptibles ne sera pas arrêtée par le fait qu’elle est déjà généreusement rémunérée. Comme le dit le proverbe, l’appétit vient en mangeant.
- « Aujourd’hui, les revenus des parlementaires ont chuté de plus de 30 % » : malheureusement, Nicolas Dhuicq ne donne aucune source pour étayer son propos ; mais même en admettant que cela serait vrai, on arriverait encore une fois à un montant, 11.000 euros nets mensuels, plus que confortable. Ce qui compte, ce n’est pas seulement le taux d’évolution, mais également le point de départ, que Dhuicq se garde bien de mentionner.
- « Les impôts, pour ma part, ont augmenté de plus de 50% » : une affirmation impossible à estimer, la déclaration d’intérêts et d’activités de Nicolas Dhuicq étant illisible.
- « Ceux et celles qui nous écoutent doivent savoir, quand ils comparent sur Internet avec le Parlement américain, qu’un élu américain a des revenus qui sont dans un facteur 10 supplémentaire à ceux des Françaises et des Français » : pour peu que l’on vérifie cette information sur Internet, on s’aperçoit que les représentants (équivalent des députés) et les sénateurs américains touchent 174.000$ par an, en brut, soit environ 163.000 euros brut annuels. À rapprocher des 154.400 euros brut annuels que touche un député français. L’écart de rémunération avec les Français concerne donc aussi bien les parlementaires français qu’américains. Ajoutons qu’au contraire de ces derniers, les députés et sénateurs français sont rémunérés par les contribuables français, dont les recherches sur Internet sont donc bien légitimes.
Pour rappel, en juin 2015, lors de notre 44e Rendez-Vous Parlementaire du Contribuable sur le thème « L’armée sacrifiée à l’État-Providence », Nicolas Dhuicq suggérait, pour renforcer l’effort de Défense, de sortir de la règle (que l’État français ne respecte pas) du plafond de 3 % de déficit budgétaire imposé en principe par le Traité de Maastricht, et de recourir à une création monétaire accrue, donc à l’inflation qui rogne les salaires, les pensions de retraite et les revenus de l’épargne :
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Dans la même séance, Charles de Courson a déposé un amendement sur la fiscalisation de la part de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) non affectée aux frais, considérant que celle-ci doit être intégrée à la rémunération des parlementaires. Il a retiré son amendement, sachant manifestement qu’il ne serait pas adopté, avant d’ouvrir le débat sur le contrôle des frais de mandat des parlementaires :
En bémol à cette intervention de Charles de Courson, on peut douter que beaucoup de parlementaires dépassent les 5770 euros de frais mensuels, quand on sait qu’ils ne paient ni le train, ni l’avion, ni le téléphone, ni Internet, et que la grande majorité d’entre eux détient un ou plusieurs mandats locaux, ce qui conduit à des défraiements provenant des collectivités territoriales.
Ajoutons que plutôt qu’une fiscalisation partielle et/ou un contrôle de l’IRFM, il serait préférable d’adopter le système du Royaume-Uni, où les parlementaires doivent avancer leurs frais puis se les faire rembourser par leur Chambre sur justificatifs :