Dans son émission « Complément d’Enquête » du 9 mars, France 2 a publié un intéressant documentaire, « Suède : la dictature de la transparence ».
On y découvre, à 1500 kilomètres de la France, une situation inverse à la nôtre. Une transparence poussée à l’extrême, où un ancien espoir du monde politique a vu sa carrière brisée parce qu’il avait de sa propre initiative avoué avoir fait refaire l’allée de sa maison « au noir » pour 4000 euros. Où une ministre a été contrainte de démissionner du gouvernement parce qu’elle avait eu un alcootest positif au volant après avoir bu… deux verres de vin (ce qui, en France, correspond à la limite légale de 0,5 g d’alcool par litre de sang).
Le cauchemar de Tocqueville
Dans ce pays très sécularisé mais en même temps profondément marqué par l’éthique luthérienne, les institutions, loin des Cités interdites que sont leurs homologues françaises, sont de véritables panoptiques, où la surveillance permanente n’est pas sans rappeler les scenarii dystopiques de SOS Bonheur.
L’illustration la plus nette de la dérive de la transparence à la suédoise est le Ratsit, un annuaire grand public édité par une société privée qui recense l’ensemble de la population majeure et précise, pour chaque citoyen, ses revenus et son niveau d’imposition.
Ce qui conduit nombre de Suédois, travaillés par cette passion triste qu’est l’envie, à vérifier si les revenus officiellement déclarés par leurs voisins concordent avec leur train de vie. En somme, une société conforme aux craintes de Tocqueville lorsqu’il anticipait l’évolution de la jeune démocratie américaine, marquée comme la Suède par le puritanisme protestant.
En fin de documentaire, un « jeune ancien » élu explique pourquoi il a fini par abandonner sa carrière politique. Il avait le sentiment de ne pouvoir agir librement en étant sous la menace d’un flicage omniprésent.
Comme le déplore en conclusion l’ancien ministrable qui avait fait daller sa maison au noir, une société où il n’y aurait plus le droit à l’erreur serait ennuyeuse et sans audace, où seules les personnalités les plus fades accèderaient aux plus hautes fonctions.
Il convient donc de trouver un juste équilibre entre l’opacité à la française et le voyeurisme à la suédoise. En ne profitant pas des failles du modèle scandinave pour justifier un statu quo inacceptable, comme le font nombre d’analystes français. Le caractère totalitaire de la transparence nordique ne justifie pas le culte du secret qui prévaut en France.
Transparence : bonne pour la vie publique, mauvaise pour la vie privée
Ce juste équilibre, l’avocat Jean-Philippe Feldman l’avait trouvé il y a près d’un an lors du 46e Rendez-Vous parlementaire du contribuable sur la transparence. Il avait défini celle-ci comme bonne pour la vie publique, et mauvaise pour la vie privée.
Les responsables publics étant, comme tous leurs concitoyens, aussi des personnes privées, cet aspect-là de leur vie doit être protégé de la convoitise. Mais leur action publique doit au contraire faire l’objet de la plus grande limpidité.