
Chacun connaît la vieille formule « Ce qui est légal n’est pas forcément moral ». Le but de l’action publique n’est autre que de faire coïncider le légal avec le juste, et l’illégal avec l’injuste. En attendant, il ne faut pas se laisser impressionner par ceux, juristes ou non, qui invoquent la légalité d’une pratique contraire à l’éthique.
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Juridisme (substantif masculin) : Formalisme de l’esprit qui incline à faire prévaloir rigoureusement l’application des textes sur des mesures dictées par la justice ou l’équité.
Source : Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL)
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Le 1er février dernier, les députés, du moins ceux qui étaient présents dans l’hémicycle, ont voté à l’unanimité l’obligation pour tout candidat à une élection, locale ou nationale, de présenter un casier judiciaire vierge.
Cette mesure doit encore être votée par le Sénat puis promulguée par le président de la République et enfin entrer en vigueur, mais dans l’hypothèse où elle franchira toutes ces étapes, elle constitue un précédent important dans la moralisation de la vie publique.
Quand les deux lois entreront en vigueur, il sera impossible à un élu condamné de se représenter. Est-ce à dire que cette possibilité était justifiée jusqu’à présent ? Non, évidemment.
Ce que cette mesure traduit, c’est la découverte par le législateur d’un vide dans la législation, vide qu’il a comblé afin d’éviter que des élus corrompus profitent de cette brèche.
Comme nous l’avons déjà écrit, si cette mesure avait été en vigueur à la fin des années 1990, Patrick Balkany n’aurait jamais pu revenir en politique.
Et personne ne peut dire de bonne foi qu’il est justifié que Balkany ait pu aligner les mandats jusqu’à présent. Cette possibilité était certes légale, mais injuste, et le souci de justice doit prévaloir sur celui de légalité.
Dans l’affaire dite du #PenelopeGate, ou désormais du #FillonGate, le même juridisme étroit a prévalu dans le discours public, et, de manière surprenante, pas seulement de la part de François Fillon et de ses porte-parole.
C’est ainsi que l’on a vu un René Dosière, pourtant connu pour ses prises de position courageuses contre la corruption et pour la transparence de la vie publique, être mentalement pétrifié par le fait que l’emploi d’un membre de sa famille par un parlementaire, aux frais de l’État et des contribuables qui le financent, n’est pas illégal.
Cette paralysie cérébrale est d’autant plus étonnante que René Dosière est député. Il lui était donc possible, comme l’ont fait plusieurs responsables politiques (à gauche, Benoît Hamon et Manuel Valls, à droite, Alain Juppé) de proposer l’alignement de la législation française sur le fonctionnement du Parlement européen, qui interdit les emplois familiaux (comme le fait, autre exemple, le Bundestag, équivalent allemand de l’Assemblée nationale).
Est-ce à dire que ce qui est vrai à Paris est faux à Strasbourg, et inversement ? Ou pire, que ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera plus demain ?
Le but n’est pas ici de discuter les mérites comparés du droit naturel et du droit positif. Pour passionnant qu’il soit, un tel débat dépasse la mission de cet observatoire. Néanmoins, ce que le sentiment d’injustice face aux brèches de la législation (les anglophones parlent joliment de « loopholes ») traduit, c’est la supériorité de la loi (qu’elle soit d’origine naturelle, divine… ou inconnue, pour les moins péremptoires) sur la législation, imitation de la loi par les hommes et donc imparfaite.
Pour clore cette parenthèse philosophique, c’est tout le sens de la confrontation entre Antigone et Créon dans les pièces de Sophocle et Jean Anouilh : pour faire (très) simple, la première défend la primauté de la loi divine sur celle de la Cité, et le second l’inverse.
Contrairement au droit anglo-saxon (common law) qui privilégie l’appréciation du juge en se basant sur la jurisprudence, le droit européen continental (civiliste) permet une relative plasticité de la législation, source de dangers mais aussi d’opportunités. Le législateur a ainsi la possibilité de faire évoluer rapidement une pratique injuste mais jusqu’ici légale, ou plus précisément, non-illégale.
Le rôle des promoteurs de la transparence de la vie publique étant alors de faire pression sur le législateur pour qu’il adopte une législation plus juste. Sans se laisser neutraliser par un obstacle de papier qui peut être abattu de la même manière qu’il avait été érigé.
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Lire aussi, sur le site du Point : Ce qui n’est pas illégal n’est pas forcément permis, par Éric de Montgolfier